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Dosette de lecture n°102 : JMG Le Clézio : « Chanson bretonne » : Une madeleine sonore

Publié le par Eric Bertrand

Quelle est cette « chanson bretonne » qui revient à la mémoire de JMG Le Clézio, l’écrivain de « Désert », de « Gens des nuages » et de tant de titres encore qui évoquent plutôt l’île Maurice, l’Afrique, le Maghreb ou le Nouveau-Mexique que le cap Finistère ? Cette chanson s’élève d’un petit coin de Bretagne, situé sur une rive de l’Odet, juste en face de Bénodet, à Sainte Marine.

L’auteur y est venu enfant, chaque été entre 1948 et 1954. Il y est retourné adulte pour y retrouver l’écho de ce pays breton dont il admire l’authenticité et la force identitaire. Tout a bien changé depuis, mais il y entend encore les accents du vieux « patois » d’une langue dont l’Académie et l’École interdisaient l’usage aux enfants à cette époque. Il y avait là pourtant un vrai « cheval d’orgueil » que les « Yanik, Pierrik, Fanch, Soizik » ont dû brimer sous prétexte de « réussir leurs études ». 

Les notes de la « chanson » lui sont maintenant jouées par des objets devenus « décoratifs », « fétiches du temps jadis » : la pompe à eau du vieux village, les rouages des chaînes du bac, les bornes kilométriques. Chemin faisant, le long de ces rues, de ces sentiers rongés par la modernité, c’est une madeleine sonore qui réveille la mémoire de l’auteur : il entend encore la musique d’un sonneur sur la lande, les « sons aigres des binious et des bombardes » dans le château disparu du Conquer, « un chant vernaculaire » qu’entament des paysans, ou bien encore, certains soirs de tempête, du côté des menhirs, dolmens et peulvens, la vibration particulière de la « Roche qui chante ».

Par les réminiscences, il parvient à ressusciter « cette chaleur des fêtes de nuit, avec le fond sonore aigrelet du biniou et de la bombarde, et que le vent à emportées ». Magie d’une écriture qui vient aussi jusqu’à effleurer les touches les plus intimes du lecteur.

Dosette de lecture n°102 : JMG Le Clézio : « Chanson bretonne » : Une madeleine sonore

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Radeau ivre… Rimbaud, Roda-Gil, Maurice Vallet : L'apport des premières chansons de Julien Clerc

Publié le par Eric Bertrand

Celles et ceux qui ont lu « Pour y voir Clerc », « Juke-box » ou, plus récemment « chambre 69 », connaissent ma dette envers Gainsbourg et Julien Clerc. En 1970, quand j’avais dix ans, Julien m’a en particulier ramené à la vie après un accident de la route.

Ce fut d’abord « Ivanovitch », puis l’album « Ce n’est rien », « La Californie » et « La Citadelle » …

Surtout, je me suis rendu compte plus tard que j’avais découvert, à travers les chansons de Julien, quelque chose de profondément littéraire qui m’a amené vers les livres, les œuvres des grands auteurs et le goût de l’écriture. Aujourd’hui que va paraître mon roman consacré à Arthur Rimbaud, (« Over the Rimbaud », Hello Editions) je voudrais partager ce retour sur des chansons de Julien qui m’ont amené à découvrir ce jeune poète originaire de Charleville qui est aussi un aventurier et un être profondément humain…

Radeau ivre…

« Avoir quinze ans, la révolte qui grince… Ton regard d’outremer tourné vers les déserts d’Abyssinie », « Tu voudrais vivre aussi ta saison en enfer » … C’est au bout de ces « fleuves impassibles » que s’en va ton « bateau ivre », pour « heurter d’incroyables Florides » ou de fauves Californies, au bout de ces mers « blondes et sombres, dans ces fonds ou nul ne plonge ».

Tu prends la « piste des savanes » celle des Caravaniers, porté par cet éternel besoin de voyage. Tu t’éloignes, « les poings dans tes poches crevées », avec ta « chemise dont les trous rêvent », tout au long des « sentiers picotés par les blés », ces « sentiers qui vont traînant sur les collines ».

« Poussé au dos par un grand vent », toi « l’homme aux semelles de vent », tu « passes tranquille dans les forêts », tu t’arrêtes « sous une cascade » et tu « ris au wasserfall blond.  « Tu croises des cabarets », des cabarets verts où tu demandes du « jambon tiède et des tartines de beurre » ou des « p’tits pois lardon ».

Puis ce sont ces nuits à « l’auberge de la Grande Ourse », ou tu dors « juste comme un enfant » en attendant l’aube d’été « qu’on embrasse », « quelque part là-bas », cette aube qui « larmoie sur des champs inondés »

Radeau ivre… Rimbaud, Roda-Gil, Maurice Vallet : L'apport des premières chansons de Julien Clerc

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« Gainsbourg trinque avec Rimbaud à l’auberge de la Grande Ourse »

Publié le par Eric Bertrand

De la même façon que la poésie de Baudelaire, de Verlaine ou de Hérédia imprègne les textes de Gainsbourg, celle de Rimbaud infuse dans son imaginaire. Dans ses carnets, il note, avec une lucidité poignante, la phrase suivante : « Je vais essayer de rejoindre Rimbaud, je veux l’approcher... Un jour, je le retrouverai, quelque part en Abyssinie, où il faisait le trafic des armes et de l’or... »

Et il a déjà retrouvé « l’homme aux semelles de vent » à travers les personnages de ses chansons… Comme « les chercheuses de poux », ces « grandes sœurs charmantes » du « cahier de Douai », Élisa cherche avec ses ongles « les petits poux » dans « le front de l’enfant » et réveille en lui le trouble infini du désir, sous la pression de « ses ongles argentins ».

Comme Ophélie, « Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles », « la Noyée », « s’en va à la dérive ». « On entend dans les bois lointains des hallalis » écrivait Rimbaud. Et sur un disque écrit par Serge, c’est la voix de Vanessa Paradis qui passe sur l’eau et chante cette « blanche Ophélia flottant comme un grand lys », « dérivant, tombée des nues frôlant les nénuphars ».

L’imaginaire de l’eau, si vivace dans la poésie de Rimbaud, hante celle de Gainsbourg : l’eau est à la fois espace d’évanouissement et de dispersion mais aussi espace de « l’inouï ». C’est vers « le Poème de la mer, infusé d’astres et lactescent » que tend le Bateau ivre enfin libéré de « l’œil niais des pontons ». C’est également vers « ces lumineux coraux des côtes guinéennes » que « s’agite en vain ce sorcier indigène » espérant retrouver sa Mélody, Mélody et ses cheveux rouges comme « les algues brunes et rouges dessous la vague bougent. »

 

« Gainsbourg trinque avec Rimbaud à l’auberge de la Grande Ourse »

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Le tracteur ivre (d’après Arthur Rimbaud)

Publié le par Eric Bertrand

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par nos bons cœurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais énervé contre tous les équipages,
Portant poulets d’Ukraine ou bien produits flamands.
Quand avec mes tracteurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De l’Amer…

Le tracteur ivre (d’après Arthur Rimbaud)

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Dosette de lecture n°101 : Sylvie Germain : « À la table des hommes ». Quelle part du festin de la terre les hommes abandonnent-ils aux animaux, aux arbres et aux créatures des étangs ?

Publié le par Eric Bertrand

Dans quel état un être peut-il sortir des décombres de la guerre et de la haine entre les hommes ? C’est un récit intemporel, un conte cruel qu’écrit Sylvie Germain en 2019 lorsqu’elle imagine le destin d’un enfant sauvage né de l’étreinte improbable entre une truie et un soldat agonisant. La scène originelle a lieu dans un monde en guerre où les hommes ont perdu tout repère et toute humanité : « La guerre les a saisis, corps et âme, extirpant des bas-fonds de leur être une capacité de haine et de cruauté qu’ils ignoraient porter. »

Très attentive aux sensations de son personnage, Sylvie Germain se glisse à hauteur d’herbe, fouaille la terre dévastée, lève les yeux vers le ciel, respire les essences des forêts, les odeurs des étangs et les parfums des fleurs. Comme son héros accompagné fidèlement d’une corneille, elle enseigne au lecteur à se méfier du « guêpier des hommes » et à trouver, dans l’émerveillement et l’évasion, des voies alternatives.

Et parmi ces voies alternatives, il y a pour l’enfant sauvage, ce pourceau, ce blaireau, cette « fouine » comme le surnomment les autres enfants, la découverte du langage : alors que le village où il a été recueilli sort enfin du confinement et retourne à la civilisation, alors que les routes sont à nouveau ouvertes et que les journalistes débarquent avec leurs radios et toutes leurs connexions, « lui qui piétine dans un maigre cailloutis de mots », il entend autour de lui parler toutes les langues et ça l’intrigue et ça le fascine.

Commence alors sa longue aventure « à la table branlante des hommes » à laquelle il faut éviter de s’attabler trop longtemps…

« La table branlante des hommes.

Vois combien la nuit consume la voie lactée des âmes.

Monte dans ton chariot de feu et quitte le pays ! »

Le récit de Sylvie Germain s’achève sur cette pensée de Tomas Tranströmer et les vers de ce poète suédois en disent long sur l’ensemble du récit car ils sonnent comme un avertissement au lecteur…

Dosette de lecture n°101 : Sylvie Germain : « À la table des hommes ». Quelle part du festin de la terre les hommes abandonnent-ils aux animaux, aux arbres et aux créatures des étangs ?

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