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nature

Dosette de lecture n°90 : Victor Hugo du haut de son look-out « Le chaos vaincu » ?

Publié le par Eric Bertrand

Comment espérer mettre un terme au chaos ambiant et continuer sous les meilleures auspices ce que le regretté Hubert Reeves appelait : « La grande aventure de l’univers » ? Cette question est hélas d’une tragique actualité quand on pense au fracas du monde depuis le silence interrompu des injonctions du confinement.

Dans le gouffre de son œuvre, Hugo ne cesse de se la poser. Ce qu’il appelle « l’ombre », cette part effrayante de l’Humanité où menace le Mal absolu, il la met en jeu tout au long de ses romans et recueils. Monstruosité, misère féroce, barbarie, néant, nuit… Toute son œuvre à la fois poétique et romanesque peut être appréhendée dans ces mots qui sont aussi des concepts et des symboles aussitôt combattus par les forces de vie et de lumière.

C’est pour cette raison qu’on trouve toujours chez Hugo une figure rayonnante, un héros casqué d’une lampe torche qui part au-devant de la matière brute et qui l’affronte pour finalement en triompher après en avoir montré l’étendue (maléfice profond et irrécupérable de certains « Misérables », monstruosité de la pieuvre-kraken sous la mer, stupidité et égoïsme incommensurable des politiques et souffrance du peuple…)

Dans l’épopée des Travailleurs de la mer, le bateau « la Durande » menace de sombrer dans les « double-fonds de l’abîme » et pourtant, Gilliatt le ramène vers les côtes de Guernesey : il réussit ainsi son « travail de la mer ». Dans Les Contemplations, au terme de sa « marche » vers « le tombeau », le poète parvient à renouer le dialogue tragiquement interrompu avec sa fille Léopoldine et lui offre « Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs » : « Ne dites pas mourir, dites naître ». Quant à Gwynplaine, l’homme qui rit, s’il porte sur le visage la grimace monstrueuse du Mal qu’il a côtoyé toute sa vie, au terme de sa traversée, il ramène lui aussi la lumière : la jeune aveugle Déa retrouve la vue et « le monstre » ne rit plus, il sourit. Son masque d’ombre vient de tomber aussi sèchement que la dépouille de la pieuvre poignardée par Gilliatt... Le « Chaos est vaincu » par « l’éclaircie » (poème 10 du livre 6 des Contemplations). La lumière et l’harmonie reviennent après la tempête.

Mais, du haut de son "look-out", le « mage » de Guernesey continue de nous avertir : malgré son éclat et sa beauté, l’éclaircie est le signe d’un trop éphémère « Chaos vaincu ».

Dosette de lecture n°90 : Victor Hugo du haut de son look-out « Le chaos vaincu » ?

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Sylvain Tesson : Sur les Chemins noirs, Dosette de lecture n°89 : Echapper au dispositif

Publié le par Eric Bertrand

Comment se reconstruire lorsqu’on a vécu un traumatisme, qu’il soit psychologique ou physique ? Cette interrogation a inspiré beaucoup d’écrivains qui, par le biais d’un livre, s’adressent à leurs « frères humains » toujours avides de solutions face à la difficulté de vivre.

          Sylvain Tesson est un écrivain voyageur, amateur d’exploits de toutes sortes, capable d’escalader des façades d’immeubles ou des pitons rocheux, de s’isoler des mois dans une cabane au bord du lac Baïkal ou de guetter pendant plusieurs jours sur les montagnes du Tibet l’apparition de la panthère des neiges. Pourtant, cette fois-ci, prisonnier d’un lit d’hôpital suite à une mauvaise chute, et dans le but de se remettre en forme, il se lance le défi de traverser la France à pied, du Sud au nord en n’empruntant que « les chemins noirs », les voies anciennes, à l’écart des grandes routes et des balises du monde moderne, « là, où personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre ».

          Mais en même temps que ce défi de tirer sa carcasse abimée, estropiée,  cabossée par les monts et les vaux, il s’agit aussi pour lui de s’extraire, en clopinant, de ce qu’il appelle « le dispositif » qui « remodèle la psyché humaine, s’en prend aux comportements, régentent la langue, injectent des bétabloquants dans la pensée ». Et le lecteur assiste à cette longue marche qui l’amène à regarder autrement, à méditer, à sentir et à redonner du sens à ce qu’il a perdu l’habitude de voir. Aussi ce chemin noir est aussi un long chemin vers la clarté.

         

Sylvain Tesson : Sur les Chemins noirs, Dosette de lecture n°89 : Echapper au dispositif

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Sylvain Tesson : "S’abandonner à vivre". Dosette de lecture n°88 : sortir de l’apnée

Publié le par Eric Bertrand

À quoi la vie peut-elle donc conduire ? Quel est son sens ? À travers une galerie de personnages hauts en couleurs, et une vingtaine de nouvelles, Sylvain Tesson propose des fragments de réponse. Dans une langue caustique, il observe quelques figures d’anonymes : ceux qui se laissent balloter par une existence urbaine et confortable, ceux qui s’accrochent dans les filets de l’abondance ou de la médiocrité et essaient de se sauver en s’inscrivant de temps en temps à des marathons urbains « où vingt mille hamsters sortent de la cage en tenue fluo » ou en sacrifiant une fois par semaine au rite du jogging : « névrose d’une société qui n’avance pas » dans le but à peine voilé de « se taper le soir des andouillettes spongieuses en toute bonne conscience ».

Dans cette « cage » où passent les meilleures années, règnent l’égoïsme, l’hypocrisie, et une certaine forme d’hystérie qui masque l’angoisse et l’ennui et fait préférer le plaisir immédiat aux valeurs spirituelles. Il oppose alors à ces êtres caricaturaux, à ces « biches aux figures de hyènes », à ces matrones qui étouffent leur mari à coups de petits plats et tentent de cacher leur adultère derrière des sourires factices, des figures dostoïevskiennes : prostituée slave au bagage flaubertien et « dont la chair est un tapis de prières », amant qui échappe au mari en filant par les gouttières, sniper fanatisé, apnéiste assoiffé des profondeurs, alpinistes à la tête brûlée … Ou employés du téléphérique qui, pour éviter un pantagruélique repas de Noël concocté par Bobonne, simulent une panne de leur cabine suspendue entre deux montagnes et débouchent tranquillement leur bouteille de champagne, à la santé de la grande Nature et de Zarathoustra. 

 

 

Sylvain Tesson : "S’abandonner à vivre". Dosette de lecture n°88 : sortir de l’apnée

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« Le règne animal » : le loup et la forêt dans l’homme

Publié le par Eric Bertrand

Des nouvelles du monde qui mettent de mauvais poil, une civilisation qui formate l’individu et qui finit par l’aliéner à force de nourriture et de pensée conditionnée, des embouteillages qui empêchent d’avancer dans la vie, la stridence des klaxons et la nausée des gaz d’échappement… Dès le début du film « le Règne animal », la rage étreint le héros et le met en marge d’une société qu’il rejette, lui qui essaie d’éduquer son fils Émile dans le sens d’une libre pensée marquée par la citation de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience. » Pour toute réponse, et bien qu’il soit doté d’un prénom rousseauiste, l’ado Émile avale sans réfléchir un paquet de chips bourrées de colorants et d’agents nocifs à son équilibre naturel et finit par s’énerver.

                    Dans sa fuite en avant, son père est comme un animal blessé, écorché vif par la griffe de sa rébellion et le traumatisme de cette étrange mutation qui a frappé sa femme ainsi que d’autres humains, régressant vers l’animalité. Pour autant, il continue de l’aimer, elle qu’il continue d’aller voir à l’hôpital, malgré ses poils, malgré son odeur fauve et malgré la perte du langage qui est l’un des signes de la progression de la maladie. Il n’a plus que les soupirs, les grognements et les caresses maladroites.

             Après son déménagement dans une zone plus sauvage, il retrouve une complicité avec Émile qui recherche lui aussi sa mère. Dans la forêt à la lisière de laquelle ils sont désormais installés, il raconte à son fils les premières heures de leur rencontre quand avec elle, il chantait la chanson de Bachelet : « elle est d’ailleurs ». Il aurait pu aussi bien chanter cette chanson de Polnareff : « J’en ai marre de voir les animaux dans les zoos… Je voudrais redevenir l’homme préhisto avec rien sur la peau » ou cette autre de Zazie : « Je suis un singe ou un poisson, pur produit de consommation, je suis de l’homme la négation ».

             Car ce qui trouble aussi dans ce film, c’est qu’il médite sur cette part animale que nous avons tous sous le vernis de la civilisation. Les poils et les griffes poussent sur le corps du fils atteint lui aussi par la mutation. Son œil étincelle, sa force physique est décuplée, il se met à courir plus vite, il souffle, il hurle, son geste est vif, son ouïe se développe, c’est l’appel de la forêt qu’il ressent. Comme le chien de Jack London, il redevient un loup. Ne fait-il pas entendre en même temps le cri qui hurlait dans le cœur de son père au début du film ? Celui d’un homme lassé par les autres hommes, par ces créatures hypocrites qui cachent les abois du sexe derrière les apparences, les puanteurs derrière les savonnettes et la détresse de leurs pulsions dans les plis d’un langage factice ? Ces autres hommes pleins de tremblements, avides de rut et de sang, qui s’élancent, salive aux dents,  rhinocéros lourds et aveugles armés de fusils, pour anéantir les « créatures » qui se sont réfugiées dans la forêt.

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