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Dosette de lecture n°114 : Raphaël Gaillard : L’Homme augmenté. Lire, c’est s’augmenter

Publié le par Eric Bertrand

Quelle magique opération se produit dans le cerveau lorsque nous lisons ? Avant de chercher à « s’augmenter », l’homme a-t-il bien conscience qu’au moment où sa fibre optique renvoie ces signes linguistiques à l’une des zones de son cerveau afin qu’il les décrypte, il s’augmente ?

L’auteur, psychiatre et spécialiste des neurosciences mène une enquête approfondie sur la relation entre la lecture et les différents compartiments du cerveau. « Un livre, de plomb ou de papier, c’est déjà une annexe de notre cerveau, une prothèse cérébrale, un hors-de-soi que nous acceptons de partager et qui en retour nous transforme. » Et, chemin faisant, il interroge la potentialité d’harmonie en l’homme, cet état de perfection que Vinci a si bien montrée dans le cercle de l’homme de Vitruve.

Mais comment évaluer « un homo sapiens connecté », qui semble « avoir le souffle et le neurone courts quand il s’agit de penser, le cœur gros de ressentiment quand il observe ses congénères et les doigts chargés de fiel et d’acide quand il tapote sur son clavier » ? Il ne faut pas perdre de vue qu’entre lui et le livre, il y a toujours eu une sorte « d’hybridisme » et de risque de toxicité dans le sens où la lecture peut le déranger et le promener dans sa part la plus sombre et aller jusqu’à le pétrifier comme le font les écrans. La menace n’est jamais loin et ces écrans funestes semblent « Ne pas le voir jouer mais jouer avec lui ».

 « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » … L’auteur pose à sa façon la vieille question de Rabelais : « Pourquoi un monde moderne si de pareils poisons s’inventent » ? La vraie solution est une fois de plus inspirée par son contemporain Montaigne qui affirmait qu’il fallait se nourrir, s’innerver de lecture pour avoir « une tête bien faite » et ainsi relever le défi des technologies et de l’augmentation : « Lire, affuté et d’aplomb pour grandir, s’armer et chevaucher vers bien d’autres hybridations. »

Dosette de lecture n°114 :  Raphaël Gaillard : L’Homme augmenté. Lire, c’est s’augmenter

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Dosette de lecture n°113 : Éric Vuillard : Tristesse de la terre. La belle Amérique sous les lassos du show

Publié le par Eric Bertrand

Comment raconter l’Amérique ? Celle des grands espaces, celle des peuples autochtones, des pionniers s’installant dans des contrées souvent hostiles ? Comment contempler l’infiniment petit dans cet infiniment grand comme le fait ce personnage étonnant de la fin du récit : Wilson Alwyn Bentley, photographe traquant inlassablement la forme évanescente des flocons de neige ?

Le parti-pris d’Éric Vuillard est d’examiner avec son regard caustique cette société du spectacle et du show qui a toujours exalté des héros de pacotille, avides de succès et de dollars. Certes, en 2014, il n’écrit pas sur les États-Unis de 2024, mais en retraçant l’ascension sociale de Buffalo Bill Cody, ce « prince du divertissement » devenu « vieux cabotin », « pur produit de marketing, sorte de simulacre », agitateur fanfaron, il donne déjà à voir les élucubrations d’un Donald Trump et décrypte à sa façon tous ces mensonges, ces dangereux récits de paillettes et de pacotille qui forgent un peu trop facilement le corps des légendes.

La « légende », que retrace le Wild West Show du fameux Buffalo Bill se construit à partir de l’histoire racontée chaque soir, devant un public curieux et ignorant, par les acteurs recrutés pour l’occasion. Et qui sont-ils, ces « acteurs » ? Le vieux chef Sitting Bull, des Indiens ayant échappé au massacre, une jeune Indienne rescapée de « la bataille de Wounded knee »… Comme l’écrit l’auteur : « La civilisation est une énorme bête insatisfaite. Elle se nourrit de tout. » Avec la complicité de son impresario, John Burke alias Arizona Burke, Cody, ce glorieux abatteur de bisons excite l’imagination et les bas instincts de ses spectateurs et interprète à sa façon l’ignoble massacre des Indiens.

 

Dosette de lecture n°113 :  Éric Vuillard : Tristesse de la terre.  La belle Amérique sous les lassos du show

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Dosette de lecture n°112 : Jean-Michel Lecocq : La Fille aux semelles de vent, Plusieurs manières de battre la semelle…

Publié le par Eric Bertrand

Par quelle facette aborder « l’homme aux semelles de vent » ? Tant de choses ont été écrites à propos de celui qui a tout quitté pour aller vivre « au grand désert où luit la Liberté ravie »… Lorsqu'on a lu plusieurs biographies, vu des films, des reportages, et puis, à terme, écrit soi-même sur « le passant considérable », on finit par entrer un peu dans le cercle de ses familiers. Grâce au beau roman de Jean-Michel Lecocq, j'ai pu retrouver le "clan" Rimbaud, Isabelle, Paterne Berrichon et Vitalie attachée à « la casquette de plomb » de son notaire, « Cerbère hiératique ». J’ai aussi pu mieux apprécier Frédéric, le fils maudit, croisé dans le livre de Jean-Claude Bailly, "L'autre Rimbaud".

Arthur est mort depuis quinze ans déjà. Dans sa deuxième vie, à Harar, il a « connu » une Éthiopienne du nom de Mariam. Et c’est là que commence la fiction : cette Mariam aurait donné à Arthur une fille baptisée Bethsabée. Agée de dix-huit ans, elle arrive à Marseille, accompagnée de son protecteur, Alfred Bardey, l’employeur de Rimbaud : « Bardey se trouvait à la tête d’une fortune respectable amassée grâce au commerce du café et des peaux entre l’Ethiopie et Aden, puis entre Aden et l’Europe. En cela Rimbaud s’était montré un collaborateur des plus efficaces. Bardey considérait avoir une dette envers lui, et par conséquent envers sa fille. Non qu’il éprouvât une tendresse débordante pour cet Ardennais fantasque, prompt à se quereller, souvent imprévisible et dont la personnalité était aux antipodes de la sienne, mais il lui était reconnaissant d’avoir fait prospérer son agence de Harar malgré une concurrence féroce. »

L’itinéraire que suivent les deux personnages permet au lecteur de retrouver cette topographie rimbaldienne que l’auteur connaît manifestement bien : Charleville, Voncq, Attigny, Roche, Vouziers… Autant de lieux peu accessibles et la campagne ardennaise en cet hiver 1906, paraît bien hostile à la jeune métisse, tout autant que « la Mère Rimbe » qui semble avoir autorité sur les forces de la terre.

Comment la rencontre va-t-elle se dérouler ? Alors qu’il tient déjà son lecteur captif, l’auteur noue habilement un autre fil à son canevas en mêlant un second récit au premier. On est en avril 2021 et le narrateur, qui vient de perdre son père, revient sur des lieux qu’il a voulu effacer de sa mémoire. Mais on ne se détache pas si facilement des Ardennes et de « l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze… ». Bien des surprises l’attendent dans ce territoire où les vieilles histoires finissent toujours par réémerger.

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Un avis sur "Over the Rimbaud"

Publié le par Eric Bertrand

Je remercie François Duplantier, connaisseur de Rimbaud et auteur d'un ouvrage que je vais lire prochainement "Et Arthur quitta le train jaune de 5h48", pour son avis qui invite aussi à considérer le personnage que j'ai inventé pour "raconter" Rimbaud : Jeanne-Marie...

"Vous avez eu l’idée très originale et très intéressante de raconter l’histoire de Rimbaud à travers le prisme personnel d’une jeune femme qui l’a "connu" jeune adolescent et qui le suit par la pensée ensuite, avec quelques rares nouvelles rencontres disséminées jusqu’à son départ vers la corne de l’Afrique. Cette Jeanne-Marie reste en relation avec Isabelle Rimbaud et nous avons deux regards féminins différents, tout à fait antagonistes sur « l’homme aux semelles de vent ». Le journal d’une amoureuse qui raconte un autre Rimbaud, entreprenant, décidé, bavard, précipité, fulgurant, une femme qui « ne comprend pas tout » ce qu’il écrit… « J’ai bien compris que l’essentiel de ma vie consisterait à poursuivre en rêve le seul homme qui me semble digne d’intérêt » écrit-elle ! Et « je t’ai avoué que je m’étais mariée, mais que cela ne changeait rien et que je gardais toute mon indépendance ». Elle tutoie Arthur dans son journal…lui parle… jusqu’à mettre en péril son propre couple. Mais, dit-elle, « d’après moi une femme doit conduire sa vie comme une aventure et ne jamais accepter de se soumettre ni de se ranger ». Et Arthur qui lui dit, en septembre 79 : « L’amour c’est comme la poésie, j’en ai fait le tour, Basta ! Je cherche autre chose » Et cette réponse : « Je ne suis pas la sage épouse qu’on voudrait faire de moi, assise sur son fauteuil à bascule… je ne veux pas d’un amour domestique, plein de faux plis et de coutures…tu es un séduisant passant que je continue d‘aimer… » C’est captivant de voir comment Jeanne Marie, sans doute au contact d’Arthur, s’émancipe du modèle classique de la femme / épouse du 19° siècle. Une suffragette, une féministe, avant l’heure ! Et elle parle à votre place, bien sûr. Nous avons un regard très nouveau, admiratif, auscultant Arthur Rimbaud de l’extérieur, hors normes et c’est passionnant, dans une belle écriture légère, vive, alerte, souple, très nerveuse et très agréable. Bravo !"

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Dosette de lecture n°111 : Jean-Paul Dubois : Une Vie française. À chaque tournant un tourment

Publié le par Eric Bertrand

Comment raconter une vie en croisant, au fil de quelques décennies, le destin individuel d’un personnage et l’actualité en France ? L’histoire de Paul Blick, le narrateur, commence sous De Gaule et se continue au fil des présidences, celle de Pompidou, de Giscard, de Mitterrand, de Chirac…

Enfant marqué par le décès de son grand frère, adolescent tourmenté, exempté de l’armée dans des conditions bien particulières, étudiant en sociologie, adulte sans emploi au grand dam de son épouse (Anna, chef d’entreprise et farouche adepte d’Adam Smith et de la loi du marché), papa poule, photographe à ses heures, le narrateur vit l’Histoire à sa façon, et pose un regard à la fois amusant et désabusé sur les événements : « Chaque jour apportait sa livraison de fiente fraîche : corruption, prévarication, abus de biens sociaux, détournements, mises en examen, racisme, pauvreté, mépris, chômage. »

Évoquer ses errances, c’est « sombrer dans une bouteille d’encre ». Paul Blick est un contemplatif caustique qui parvient un jour, comme par miracle, à gagner beaucoup d’argent en photographiant des arbres. Cela lui permet de voyager aux frais de son éditeur en quête des plus belles lumières sur les arbres du monde et d’acquérir suffisamment de notoriété pour être courtisé par le président Mitterrand. De multiplier aussi les aventures amoureuses de nature cocasse (le traitement de la sexualité et des « coups de braguette magique » est toujours abordé de façon humoristique sinon mélancolique). De tâcher, au bout du compte, de gratter dans une existence qui devient chaotique « à quelques mois du deuxième millénaire », « un squelette de bonheur débarrassé de l’embonpoint des hommes ».

 

Dosette de lecture n°111 : Jean-Paul Dubois : Une Vie française. À chaque tournant un tourment

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