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Quai du Lazaret : balades à La Rochelle (14)

Publié le par Eric Bertrand

               La Rochelle n’a pas toujours été cette ville ouverte sur l’océan bleu et les iles de Désirade. Des zones de marais insalubres, de rares falaises grises, des plages sans sable blanc ou rose, des fonds vaseux... Et des navires suspects, contaminés qu’il fallait laisser en quarantaine, sur le quai du Lazaret...

               Dans ce contexte bien particulier, situé à l’extrémité des Minimes, le lazaret était une léproserie. La digue donnait sur ce « lazaret » où étaient confinés les malheureux marins ayant contracté des maladies contagieuses comme la lèpre, la peste ou le choléra. Et dans ces conditions, ni trottoirs, ni Cours des Dames ! Aucun contact n’est envisageable entre les vivants et les moribonds, à moins de sainteté... Qu’on relise le texte de Flaubert extrait de « la Légende de Saint Julien l’Hospitalier »

Quand ils furent arrivés dans la cahute, Julien ferma la porte ; et il le vit siégeant sur l’escabeau. L’espèce de linceul qui le recouvrait était tombé jusqu’à ses hanches ; et ses épaules, sa poitrine, ses bras maigres disparaissaient sous des plaques de pustules écailleuses. Des rides énormes labouraient son front. Tel qu’un squelette, il avait un trou à la place du nez ; et ses lèvres bleuâtres dégageaient une haleine épaisse comme un brouillard et nauséabonde.

— J’ai faim ! dit-il.

Julien lui donna ce qu’il possédait, un vieux quartier de lard et les croûtes d’un pain noir.

Quand il les eut dévorés, la table, l’écuelle et le manche du couteau portaient les mêmes taches que l’on voyait sur son corps.

Ensuite, il dit :

— J’ai soif !

Julien alla chercher sa cruche ; et, comme il la prenait, il en sortit un arôme qui dilata son cœur et ses narines. C’était du vin ; quelle trouvaille ! Mais le lépreux avança le bras et d’un trait vida toute la cruche.

Puis il dit :

— J’ai froid !

Julien, avec sa chandelle, enflamma un paquet de fougères, au milieu de la cabane.

Le Lépreux vint s’y chauffer ; et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s’affaiblissait ; ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et, d’une voix presque éteinte, il murmura :

— Ton lit !

Julien l’aida doucement à s’y traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.

Le lépreux gémissait. Les coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu’aux vertèbres.

Puis il ferma les paupières.

— C’est comme de la glace dans mes os ! Viens près de moi !

Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.

Le Lépreux tourna la tête.

— Déshabille-toi, pour que j’aie la chaleur de ton corps !

Julien ôta ses vêtements ; puis nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu’un serpent et rude comme une lime (...)

 

               L’avenue du Lazaret, parfaitement amnésique, glisse maintenant à toute allure à travers ces zones d’urbanisation récente...

 

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Tour des Quatre-Sergents ou de la Lanterne : balades à La Rochelle (13)

Publié le par Eric Bertrand

 

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             Comme d’autres lieux de La Rochelle, la Lanterne est un palimpseste... Et pour parler comme Proust, une « lanterne magique »... Elle a porté plusieurs noms, révélateurs de drames et de violences diverses. Tour du Garrot, (pour garroter les canons des navires), Tour des Prêtres (prêtres égorgés et précipités à la mer), Lanterne...

             Le cœur de la Lanterne rougeoie encore de ces histoires de passion imaginaires, à travers les drames croisés de Héro et Léandre, de John et Fiona... Violence du sang rejoint violence du cœur dans le même flamboiement... La Lanterne est aussi appelée « Tour des Quatre-Sergents » et porte en ses murs le souvenir de rebelles conspirateurs, emprisonnés là après avoir mis en cause le régime.

             Au XIX° siècle, le Romantisme prend des formes diverses, passion amoureuse, passion du rêve, passion politique... Ainsi, l’Histoire raconte que, sous la Restauration, les idées subversives embrasaient le Quartier latin et que la garnison parisienne à laquelle appartenaient les « quatre sergents » réputés pour leur insoumission, avait été transférée en 1821 à la Rochelle. 

             On pourrait très bien rapprocher ces quatre sergents des personnages de Marius Pontmercy, Julien Sorel, Enjolras, ou « Amis de l’ABC » décrits par Hugo dans « les Misérables »... Ces « enfants du Siècle » de Musset ont la tête qui résonne encore de l’épopée napoléonienne et de l’espoir révolutionnaire... Plutôt que de courber l’échine, ils choisissent la voie désespérée de l’affrontement radical... Et allument le fagot dans la tour de la Lanterne !   

 

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La statue de Héro et Léandre côté muséum : balades à la Rochelle (12)

Publié le par Eric Bertrand

          La légende de Héro et Léandre offre une autre variation sur ce thème de la passion malheureuse et de la mer farouche. Certes, ils n’étaient pas séquestrés dans des châteaux à ras de falaises... mais, sous surveillance et séparés par un bras de mer, les deux amants ne parvenaient à se retrouver que la nuit. De la hauteur de sa tour, la chandelle de Héro guidait alors le vaillant nageur Léandre dans les ténèbres.

           Un soir de tempête, une rafale de vent jaloux mit un terme à l’idylle et souffla la bougie... Léandre ne put retrouver son chemin, emporté par les remous, les courants et le désespoir. Folle de chagrin, Héro se jeta alors du haut de la tour pour rejoindre son amant dans la mer et la mort... car comme dit ce vers du vieux Pierre de Marbeuf, « La mer et l’amour ont l’amer pour partage »...

              Cette histoire se rappelle au souvenir du promeneur s’il passe à proximité de la statue de Léandre et Héro dans le parc du muséum à La Rochelle. Insensiblement, il poursuivra peut-être sa marche du côté des remparts, en passant par la rue des Fagots jusqu’aux tours. La mer tient son rôle et joue toujours les maîtresses exclusives.

 

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La statue de Héro et Léandre côté écossais : balades à la Rochelle (11)

Publié le par Eric Bertrand

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                 Restons encore un peu du côté de la Lanterne et réveillons à la fois une légende et une vieille histoire du nord de l’Ecosse. Du port de La Rochelle, larguons les amarres pour mieux y revenir ensuite...

 

                 Dans le grand nord des Highland, sur deux éperons rocheux au bord de l’océan, deux anciens châteaux se font face. Ackergill Tower et Sinclair Girnigoe Castle. L’histoire (en grande partie imaginaire) raconte qu’il y a de cela trois siècles, deux amants, Fiona et John, sont un jour séparés et séquestrés par un rival, l’une dans la tour d’Ackergill, l’autre dans le cachot de Girnigoe. Finie la romance d’amour sous les grandes falaises peuplées d’oiseaux de mer...

                 Dans les murs froids de Girnigoe, sous la surveillance d’un père inflexible, John purge sa peine et se morfond de l’absence de Fiona qui, de son côté, dépérit si loin de son étreinte. Cette situation est insupportable et, une nuit, à force de désespoir, Fiona, n’en pouvant plus d’attente, se jette du haut de la tour d’Ackergill, dans les eaux de l’océan.

                 Depuis, elle continue de hanter l’espace de la baie des Sinclair où elle cherche inlassablement John, lui aussi victime d’une mort tragique, au fond de son « dungeon »*... La malheureuse amante est devenue la « green lady d’Ackergill Tower » et certains promeneurs croient encore l’apercevoir, en certaines nuits de pleine lune. Sa silhouette gracile passe toujours sur les rocs, en contrebas des deux châteaux.

* Pour plus de précisions voir « le Ceilidh » (Eric Bertrand) et la vidéo suivante :

http://www.dailymotion.com/video/x5jfhz_scotland-ecosse-highlands-le-ceilid_creation

 

 

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Rue des Fagots : balades à La Rochelle (10)

Publié le par Eric Bertrand

             Au milieu de la nuit et du vide immense de la mer, cet entonnoir dans lequel s’engloutissent les navires, il est bon d’apercevoir de la lumière sur la côte. Et lorsqu’il s’agit d’une ville comme La Rochelle, les lumières sèment un sable d’euphorie dans les yeux du marin.

             Mais avant d’approcher des lumières des quais et des habitations, il y a toujours une lueur errante sur la mer, filon courant sous le fil de l’eau, c’est celle du phare... Les bateaux qui arrivaient jadis du large passaient entre les fameuses tours du Vieux Port et, l’une d’elles, la tour des Quatre Sergents versait l’éclairage.      

              Autres temps, autres mœurs... Avant l’électricité, on faisait du feu pour entretenir les rougeoiements des lanternes (on appelait anciennement ce lieu « Phare de la Lanterne »). L’entrepôt de bois fournissant les fagots se situait dans une rue, à proximité de celle des tours qu’on appelle encore aujourd’hui  « la Lanterne », tout simplement rue des Fagots.

 

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