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livres

sex-appeal de la cantatrice

Publié le par Eric Bertrand

             Deux articles sur « la Cantatrice chauve », pièce jubilatoire à laquelle il m’arrive souvent de penser pour des raisons variées. Il y a une scène emblématique que j’ai repris autrement dans mon Loft : celle des retrouvailles du couple Martin... L’époux et l’épouse, après s’être longtemps extasiés sur les nombreuses « coïncidences » qui les rapprochent, découvrent finalement qu’ils habitent la même rue, le même appaterment, la même chambre, le même lit et qu’ils sont mari et femme.

             La mise en scène de Jean-Luc Lagarce indique justement que toute cette scène doit être jouée sur le mode de la montée d’un désir irrésistible des deux êtres l’un pour l’autre. Au fur et à mesure qu’ils se répètent le fameux « comme c’est curieux, et quelle coïncidence ! » (le phrasé n’est jamais très varié dans la pièce !), ils manifestent une attirance de plus en plus visible et les mots les grisent... "Et le désir s'accroit quand les faits se reculent" pour reprendre le bon mot de Corneille !

            Jusqu’à la chute finale qui les dégrise... Et à ce moment ils se tournent le dos, « Je t’ai retrouvé darling ! » retrouvant alors la déception de la banalité ! Le bonheur du couple serait-il hors du foyer conjugal et dans l’étourdissement de l’aliénation ? C’est ce que semble indiquer Ionesco !

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Proust : le bal des têtes (11)

Publié le par Eric Bertrand

               Après cette petite pause et avant de reprendre une série d’articles variés sur Nantes, l’école, les livres... Je reviens un peu sur Proust.

             « Je me teignais les cheveux, les sourcils, pour être plus brun, pour faire viril... J’suis bidon ! » le lecteur se souvient peut-être de cette formule d'une chanson de Souchon... Qu'on l'applique à Proust !


             « Si certaines femmes avouaient leur vieillesse en se fardant, elle apparaissait au contraire par l'absence du fard chez certains hommes sur le visage desquels je ne l'avais jamais expressément remarqué, et qui tout de même me semblaient bien changés depuis que, découragés de chercher à plaire, ils en avaient cessé l'usage.

             Parmi eux était Legrandin. La suppression du rose, que je n'avais jamais soupçonné artificiel, de ses lèvres et de ses joues donnait à sa figure l'apparence grisâtre et aussi la précision plus sculpturale de la pierre. Il avait perdu non seulement le courage de se peindre, mais de sourire, de faire briller son regard, de tenir des discours ingénieux. On s'étonnait de le voir si pâle, abattu, ne prononçant que de rares paroles qui avaient l'insignifiance de celles que disent les morts qu'on évoque.

              On se demandait quelle cause l'empêchait d'être vif, éloquent, charmant, comme on se le demande devant le "double" insignifiant d'un homme brillant de son vivant et auquel un spirite pose pourtant des questions qui prêteraient aux développements charmeurs. Et on se disait que cette cause qui avait substitué au Legrandin coloré et rapide un pâle et triste fantôme de Legrandin, c'était la vieillesse. »

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Michon, Carrère et « l’écriture oblique » (2/2)

Publié le par Eric Bertrand

                 Reprenons le fil des réflexions inspirées par Michon et Carrère et leur travail sur les destins « minuscules » du tout un chacun...

                 Quel gâchis de quitter un jour la vie. Souvent l’impression de laisser derrière soi un édifice qui déjà fut. Vue de l’extérieur, la mort n’est souvent qu’un de ces multiples grains de sable qui volent au-dessus de la grand-roue sur laquelle nous tournons tous... Il ne reste aux membres de la famille et aux proches qu’à ressusciter la mémoire de celui ou de celle qui les quitte.

                  Car ce qu’il y a aussi de tragique dans un départ, c’est que chacun laisse une marque unique appelée tôt ou tard à s’évanouir définitivement. C’est le sens de ce que Pierre Michon indique dans sa préface aux « Vies minuscules » quand il cite Pascal. Le philosophe du « roseau pensant » dit à peu près les choses de cette façon : quand un être meurt, les proches sont « les gardiens du tombeau », et c’est ainsi que Michon, avec son talent particulier, conçoit son métier d’écrivain.

                  Dans cette ligne d’écriture, je citerais cette page extraite de la « nouvelle pour l’été » signalée hier et consacrée à un homme simple. Richard B. mon grand-père...

 

« Il n’y a plus personne au quatrième étage du 70, rue du XX° Corps Américain. Peut-être la cour, peut-être la cave, mais plus les marches en bois…

La porte immense du porche veille sur une épaisseur étanche d’époque ancienne. 

 

L’époque où l’on voyait ton élégante épouse laisser courir ses doigts sur la rampe et vos enfants et petits-enfants se précipiter dans l’escalier et le grimper quatre à quatre pour venir vous embrasser.

 

De la rue du XX° Corps Américain, si on lève la tête, même le samedi matin, entre 10 h 00 et midi, même en ce périmètre tiré au cordeau, plus de torse penché, plus de crâne chauve luisant dans la lumière !

 

« Qu’est-ce que je suis devenu vieux ! »…

Ainsi te plaignais-tu en voyant les photos des étés passés que je te montrais :

« Eric, ton grand père devient un vieux labris… (Tu dis ça en roulant les « r ») Eric, j’aimais les arbres, les fleurs, les pierres… Eric, je sais encore faire beaucoup de choses et le ciel est encore si beau en cette arrière-saison… »

 

Pépère, s’il te plaît, avec tes mains de maçon, reconstruis-moi l’escalier ! »

 

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Michon, Carrère et « l’écriture oblique » (1/2)

Publié le par Eric Bertrand

              Pierre Michon et Emmanuel Carrère, deux des grands écrivains de notre époque se penchent avec intelligence sur l’écriture autobiographique qui caractérise assez largement la tendance de la littérature actuelle. Pour les aborder, je recommanderais les « Vies Minuscules » de Michon et « D’autres vies que la mienne » de Carrère. L’un et l’autre, au micro d’Alain Finkelkraut samedi dernier, confiaient qu’ils écrivaient sur les autres de façon « oblique ».

               C'est-à-dire qu’à travers cette démarche particulière de l’écrivain qui raconte la vie d’un autre, si simple et « minuscule » soit-il, l’écrivain entretient une relation profonde avec une part de soi-même. Et, plus essentiellement, avec une part de « l’humaine nature » et de l’humaine vérité ! C’est surtout cela qui intéresse le lecteur.

                Chapitre terrible dans « D’autres vies que la mienne » intitulée : « les deux Juliette ». Suite au fameux tsunami qui a frappé le Sri-Lanka, des parents voient disparaître sous les flots leur petite fille Juliette agée de sept ans. Le père demande alors à Carrère d’écrire là-dessus... Autre Juliette : sa belle-sœur, atteinte d’un cancer, quitte ce monde et laisse son mari dans la douleur. Quelle charge d’humanité y-a-t-il derrière cette masse de douleur ?

               Qu’on lise aussi cet extrait du quatrième de couverture de « Vies Minuscules » et on verra, plus légèrement, que l’auteur explore des vies qui ont, elles aussi beaucoup de choses à nous dire... « Huit vies. Huit noms, à peine écrits en titre des chapitres, déjà tombés en désuétude. Pierre Michon pénètre les vies de ses ancêtres, anodines, infimes, parcellaires : minuscules ».

                 Et cela me ramène à l’écriture de cette « vie minuscule » de mon grand-père que j’avais écrite dans « les Nouvelles pour l’été ». J’y reviens demain.


 

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Proust : le bal des têtes (10)

Publié le par Eric Bertrand

            Comme disait l’amusante publicité : « c’est le scotch qui a vieilli ! »... Continuons ce catalogue d’images extraites du Temps retrouvé.

 

  « Car beaucoup de ces gens, on les identifiait immédiatement, mais comme d'assez mauvais portraits d'eux-mêmes réunis dans l'exposition où un artiste inexact et malveillant durcit les traits de l'un, enlève la fraîcheur du teint ou la légèreté de la taille à celle-ci, assombrit le regard (...)

               Comme souvent on trouve moins bonne et on refuse une des photographies entre lesquelles un ami vous a prié de choisir, à chaque personne et devant l'image qu'elle me montrait d'elle-même j'aurais voulu dire : "Non, pas celle-ci, vous êtes moins bien, ce n'est pas vous." Je n'aurais pas osé ajouter : "Au lieu de votre beau nez droit on vous a fait le nez crochu de votre père que je ne vous ai jamais connu."

              Et en effet c'était un nez nouveau et familial. Bref l'artiste, le Temps, avait "rendu" tous ces modèles de telle façon qu'ils étaient reconnaissables. Mais ils n'étaient pas ressemblants, non parce qu'il les avait flattés mais parce qu'il les avait vieillis. Cet artiste-là du reste travaille fort lentement. Ainsi cette réplique du visage d'Odette, dont, le jour où j'avais pour la première fois vu Bergotte, j'avais aperçu l'esquisse à peine ébauchée dans le visage de Gilberte, le temps l'avait enfin poussée jusqu'à la plus parfaite ressemblance, pareil à ces peintres qui gardent longtemps une oeuvre et la complètent année par année (...) »

              

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