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De la poésie à l’urinoir

Publié le par Eric Bertrand

          « Et je pisse vers les grands cieux, très haut et très loin avec l’assentiment des grands héliotropes »… Qui se souvient de ces vers d’Arthur ? Restons dans cette coloration pour l’article de ce matin !

           Qu’est-ce que la poésie, qu’est-ce que l’art ? Grandes questions que je m’amuse souvent à poser aux jeunes consciences dont j’ai la charge pendant mes heures de cours, notamment lorsque j’aborde ce que l’institution nomme « objet d’étude : la poésie ». Les réponses sont en général bien décevantes, « la poésie, c’est quand ça rime »…

            Comment expliquer les choses simplement afin, à la fois, de corriger la représentation et d’interpeler ces consciences la plupart du temps vierges de toute culture poétique ? J’écoutais récemment un entretien donné par Claude Lévi Strauss sur une radio qui lui rendait hommage. Le grand ethnologue était interrogé sur les structures de l’art, et il livrait des propos très concrets. Il reprenait l’idée chère aux linguistes selon laquelle le vocabulaire a pour tâche d’affecter à des réalités des signifiés bien déterminés et il prenait l’exemple du fameux « urinoir » de Duchamp.

             Le « génie » de Duchamp a consisté à « déplacer » l’objet de son signifié habituel pour « réveiller » en lui d’autres significations qu’il n’avait pas dans des toilettes publiques… Dans un musée, au contact d’autres objets d’art, sur des murs propres et sacrés par le regard des visiteurs et le culte de la Beauté, l’urinoir se mettait soudain à exister par sa forme, sa blancheur, sa différence, son extravagance…

             Bref, il changeait de vie et se dérobait de son signifié initial. Il en va de même pour la poésie et pour l’acte d’écriture poétique… Je citerais volontiers à l’élève qui a tenu le choc de l’explication, ces trois citations d’auteurs : l’une de Supervielle selon lequel « le poète est le contrebandier de la langue », l’autre de Tardieu : « la poésie c’est quand un mot en rencontre un autre pour la première fois », enfin une dernière de Sartre : « la poésie ne se sert pas des mots, elle les sert ».

              Bonne déglutition !

Looking for ghosts in Sinclair Girnigoe...
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M
Ce livre est puissant et magnifique, mais l'image la vision de l' enfer peut - elle se mettre entre les mains d' une mère qui pleure son enfant ? j'en doute . Bises d'amour
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B
Alfred de Musset, « Namouna », 1832<br />             […]<br />             Sachez-le, - c’est le cœur qui parle et qui soupire<br />             Lorsque la main écrit, - c’est le cœur qui se fond ;<br />             C’est le cœur qui s’étend, se découvre et respire<br />             Comme un gai pèlerin sur le sommet d’un mont.Merci pour ces mots, on se doute que la tâche est immense avec une nouvelle génération qui perd le mot au profit de l'image, et ce n'est pas exagéré ..... 
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L
Voilà en effet une question importante cachée sous la banalité de ce que les enfants et bien des enseignants mettent sur le contenu de "poésie"; souvent, l'enfant , l'élève et quelques enseignants n'y voient que les poésies récitations apprises ou à apprendre après un choix, une brève découverte ou pas de découverte du tout comme si le texte proposé n'était qu'un écrit tout commun donné pour être appris avant d'être appQue de gâchis! Des enseignants ont compris qu'il faudrait aider à écrire des poésies parrallèlement à l'étude de certaines ; ainsi comprendre les mots maisplus encore la combinatoire des mots pour créer du sens mais surtout comme tu as exprimé produire du sens dérivé; un troisième degré de lecture du monde.C'est vrai que ce n'est pas simple la poésie et si elle a été réduite en exercice d'apprentissage mémoriel on a raté la compréhension de ce qu'elle représente : la création c'est à dire le besoin le plus élevé de l'homme. Confondre exercice de mémoire et compétence créatrice quel sacndale ! un grand merci Eric de venir reprendre les propos de Claude Levi Strauss qui nous a tant éclairé sur l'homme, sur les langages, sur l'anthropologie sociale alors qu'on ne considérait alors l'homme sous l'angle de l'anthropologie corporelle.L'homme un être de culture plus qu'un être de nature.
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J
J'apprécie les éclairages que tu apportes sur des thèmes qui pourraient sembler "bateaux" et qui ne le sont pas, surtout quand ils sont développés tels que dans ce blog !
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