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pedagogie

« Quand le ciel bas et lourd » ou le syndrome cocotte-minute (1/2)

Publié le par Eric Bertrand

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Présentation

 

Spleen : « bile noire », marque mélancolique. Dernier mouvement de la première section des « Fleurs du Mal » des 4 poèmes intitulés « Spleen ». Sorte de voie sans issue, de démission tragique d’une âme déçue, hantée par le malaise des souvenirs confus, par l’idée de la mort, par les angoisses qui libèrent des figures obsédantes et cauchemardesques. Cinq quatrains en alexandrins qui « racontent » la bataille interne à laquelle est livré l’esprit du poète.

 

La peinture d’une bataille perdue d’avance

- Un temps qui marque une fatalité. Structure syntaxique qui enferme au début de chacun des 3 premiers quatrains : subordonnée de temps : « Quand... », renforcée par une reprise « Et que... ». Impression de surenchère : répétition du « et »... Effet d’obsession qui refoule la proposition principale attendue aux deux derniers quatrains. 

- Des conditions climatiques propices à la « mélancolie » (ce que les Romantiques appelaient « le mal du siècle »). La pluie est présentée comme la cause initiale de cette déroute : « ciel bas et lourd », « pluie étalant ses immenses traînées ».

- Une dramatisation de l’impression de pesanteur : la pluie est perçue à travers un réseau très dense d’images qui renvoient à l’idée d’enfermement et de claustration : elle fait la liaison entre le ciel et la terre qu’elle unit dans un même mouvement de morosité matérialisée par les mots  « couvercle » et « cachot » et par la transformation du « jour » en liquide empoisonné (du spleen à l’état brut !) : « il nous verse un jour noir plus triste que les nuits » (matérialité accentuée encore par l’oxymore : « jour noir »). L’impression d’enfermement est aussi réalisée à travers la métaphore de la prison, préparée par « les immenses trainées » qui sont une caricature de la pluie.

 

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« Parfum exotique » ou l’eau de Cologne de la courtisane (2/2)

Publié le par Eric Bertrand

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Tercets 1 et 2 : par un effet de parallélisme, le début du tercet reproduit en la réduisant la structure du premier quatrain : « Guidé par ton odeur (...) / Je vois (...) ». Par le jeu subtil des correspondances, le port d’attache a changé : l’île décrite conduit naturellement au port. Ce port est la plaque tournante de l’île paradisiaque comme l’indique l’adjectif « charmants » au vers 9. Il comporte une promesse de bonheur à travers la fusion des sensations exacerbées : olfactives et visuelles au vers 12 : « le parfum des verts tamariniers », auditives au vers 14 : « chant des mariniers ». Les synecdoques « voiles » et « mâts » du vers 10 assurent la garantie d’un voyage bienheureux à travers cet espace privilégié où dominent le bercement et l’engourdissement (les assonances nasales et les allitérations en « r » des derniers vers traduisent assez subtilement cette impression de dérive spirituelle).

Le mot « mon âme » est au cœur du dernier vers et ramène le lecteur à cette situation paradoxale d’un voyageur immobile, d’un amant plongé dans l’extase qui a définitivement abandonné, au bord du lit, son amante !

 

Conclusion : De « ton sein » à « mon âme », ce sonnet comporte bien une évolution. La scène érotique rapportée est aussi le récit d’une expérience poétique qui pourrait rappeler celle rapportée dans « la chevelure » ou dans « les bijoux ». On peut aussi penser au titre évocateur de l’un des poèmes en prose qui redouble « la chevelure » : « un hémisphère dans une chevelure ».

 

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« Parfum exotique » ou l’eau de Cologne de la courtisane (1/2)

Publié le par Eric Bertrand

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Introduction

L’une des idées majeures de Baudelaire, c’est celle des « correspondances » (voir le sonnet du même nom). Les sensations ressenties par le poète ont le pouvoir de l’amener dans un autre système de représentations, une sorte d’au-delà du réel qui a le mérite de le rendre heureux, apaisé pour un temps de la menace du « spleen ». La femme est la principale médiatrice entre ces deux niveaux de la perception, d’où la place privilégiée qu’elle tient dans tout le recueil. Parmi les « muses » de Baudelaire figure la mulâtresse Jeanne Duval à qui il consacre un certain nombre de poèmes érotiques-exotiques (l’un ne va pas sans l’autre). Le sonnet « Parfum exotique » inaugure l’ensemble consacré à la quête de « l’Idéal » par le biais des femmes. Le poème commence comme une scène d’amour, de respiration (aimer les femmes, c’est pour Baudelaire les respirer, voir « le Parfum ») et débouche sur un autre monde, au terme d’une sorte de crescendo qu’on va analyser à travers une lecture linéaire.

 

Quatrain 1 : début anecdotique, cadre privé et intime, la scène est érotique « soir chaud », « sein chaleureux » et se déroule « les yeux fermés ». Deux sensations sont mises à profit dans une sorte de simultanéité en début de vers « Je respire » / « Je vois ». Un paysage exotique remplace aussitôt la partie de la femme qui sert de base, de port au rêve. L’inspiratrice s’efface et ne reparaîtra qu’au vers 9 comme un relai nécessaire à l’éloignement « ton odeur ». L’impression d’euphorie triomphe dés le début (vers 3 et 4) et accompagne ce départ « à toute allure » : c’est un véritable voyage qui commence, le poète a « le vent en poupe » comme le suggère l’amplification des vers unis l’un à l’autre par un système d’enjambement et par un subtil jeu d’assonances croisées : « Je vois se dérouler des rivages heureux / Qu’éblouissent les feux (...) »

Quatrain 2 : la vision s’approfondit et prolonge le quatrain précédent puisque la proposition est toujours dans la dépendance du « Je vois ». Cette vision est liée à la conscience d’un apaisement, d’un bonheur interne : le spectacle qui s’offre dans ce paradis est celui de l’abondance, de la tranquillité et de la santé. On peut penser au jardin d’Eden (le fils de prêtre défroqué qu’est Baudelaire est imprégné du texte de la Bible) : bonheur humain d’avant la Chute, absence d’inquiétude du lendemain. La nature assure la plénitude nourricière (le vers 5 enjambe sur le vers 6 particulièrement bien coupé entre les deux hémistiches) et garantit l’équilibre humain (pointe de nostalgie à travers les portraits de ces hommes au « corps mince et vigoureux » et de ces femmes qui ne trichent pas...)

 

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« L’Ennemi » : Batman sur le ring (2/2)

Publié le par Eric Bertrand

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La lutte de l’artiste contre la menace du Temps

            La tension entre le Temps et les forces de création est marquée à travers l’image finale portée par le cri sous la forme d’une anaphore : « ô douleur ! ô douleur ! ». Le tercet exploite une implacable antithèse qui oppose les forces de vie aux forces de mort : « Du sang que nous perdons croit et se fortifie »

            Pour autant, la bataille n’est pas perdue (elle est même gagnée aux yeux du lecteur qui découvre ce poème au sein de l’ensemble et du « jardin » des Fleurs du mal). La volonté de résister est assumée à travers la référence (très prosaïque et presque vulgaire dans un poème lyrique) aux outils de jardins : « la pelle et les râteaux » (vers 6) qui fonctionnent par métaphore et renvoient à l’idée de jardin et de « fruits vermeils ». Privé de comparés, le lecteur comprend que ces mots signifient travail et inspiration. Les allitérations en « r » et en « l » des vers 6 à 8  montrent bien l’idée de maniement obstiné des deux outils.

            Par ailleurs, le printemps est « raconté » à deux reprises dans ce sonnet : d’abord sous sa forme éphémère et précaire dans le premier quatrain (consacrée à la jeunesse), ensuite sous une forme beaucoup plus idéale et intemporelle dans le premier tercet (consacrée à la possible création). Les mots connotent la vie : « fleurs nouvelles », « mystique aliment », « vigueur ». Le rythme du tercet est entraîné dans un mouvement d’euphorie (les vers 9-10 et 11 enjambent les uns sur les autres) et semble faire reculer la morsure du Temps. L’énonciation évolue d’ailleurs dans le dernier tercet détaché du précédent par un tiret (signe d’un écart ?) : le poète revient à une réflexion à caractère universel : « nous » : « L’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur (...) / Du sang que nous perdons » comme s’il venait d’affirmer la dualité qui est en lui : il est à la fois un poète capable d’opposer au Temps une œuvre impérissable et un homme fragile et conscient de la précarité de l’existence.  

 

Conclusion : Le Temps coupe les veines d’un poète en veine d’écriture... Mise en scène d’un conflit inégal : le jardinier au cœur de l’orage : « L’Art est long et le Temps est court » affirme le poème suivant « le guignon ». Malgré l’affirmation du doute, ce poème trouve sa place dans l’architecture des Fleurs du mal et affirme ainsi de façon jubilatoire la supériorité de l’Art sur le Temps. Vision prométhéenne de l’artiste, rival de Dieu.  En cela Baudelaire est le continuateur des poètes baroques des XVI° et XVII° comme Ronsard marqué par la conscience de la vanité : cf : « Sonnet pour Hélène » dont on peut aussi rapprocher « une charogne » de Baudelaire.

 

 


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« L’Ennemi » : Batman sur le ring (1/2)

Publié le par Eric Bertrand

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Introduction : un sonnet dans la série de ceux qui s’intéressent à la création et aux conditions de la création. Le thème de l’art et du temps introduits dans le poème précédent : « le mauvais moine » est dramatisé à travers l’expression du « je » qui se met en scène à travers un tableau métaphorique de son existence.

 

Une vision cyclique de la vie

Le poème est construit sur une métaphore filée qui met en relation les cycles de la nature et les étapes de la vie du poète.

Ma jeunesse / Ténébreux orage – Brillants soleils – Tonnerre – Pluie – Ravage – Mon jardin – Fruits vermeils

L’automne des idées / Terres inondées – Eau – Fleurs nouvelles – Sol lavé

Les deux quatrains font le bilan de l’action du climat sur « le jardin » et « la terre » qui renvoient à la condition humaine et à l’état physiologique. Les deux tercets orientent la réflexion du côté de la création puisque le verbe « je rêve » associé au mot « fleurs » (au centre du vers 9 et au centre du sonnet) connote l’œuvre en gestation : « les Fleurs du mal ».

 

La conscience dramatique de la fuite du temps

Cette vision cyclique de la vie est portée par le sentiment romantique de la fuite du temps marquée par la succession des temps de l’indicatif utilisé au fil du sonnet : l’éloignement du passé souligné par l’emploi du passé simple : « ma jeunesse ne fut ». Le bilan de ces années lointaines garde l’empreinte toujours présente de la souffrance : c’est ce que traduit l’emploi du passé composé : « ont fait un tel ravage ». Tout naturellement, le présent finit par s’imposer aux côtés du passé composé : sous le soleil, rien de nouveau ... ! « Il reste en mon jardin... / Voilà que j’ai touché (...) / Il faut (...) L’eau creuse ». Au-delà de ce présent « ravagé » ne reste qu’un seul espoir marqué par la présence d’un futur frappé de doute : « Qui sait si (...) / Trouveront dans ce sol lavé (...) / Qui ferait leur vigueur »

            La brièveté du temps est également montrée dans la succession d’images fulgurantes : « Ténébreux orage », « brillants soleils » dont le pluriel réduit encore l’impression de durée semblable à une étincelle. Elle est associée à l’idée de dégradation et de mort marquée par la présence de l’eau qui s’infiltre partout. Le lexique et les images préparent cette idée de mort annoncée qui culmine dans le dernier tercet de façon épouvantable : « Ravage » (au vers 3), « Des trous grands comme des tombeaux » (au vers 8).

            Le titre du sonnet prépare la vision effrayante du dernier tercet : l’Ennemi, c’est implicitement Satan et le Mal. La périphrase qui le désigne revient au vers 13 accompagné de l’adjectif « obscur » qui accentue son caractère inquiétant. La menace du mal qui épouvante le poète est dramatisée dans ce poème à travers une allégorie qui donne des traits physiques à sa hantise : l’Ennemi prend clairement les traits du vampire (thème très en vogue pendant la période romantique et notamment dans l’œuvre du dédicataire des Fleurs du mal : Gautier et dans les Fleurs du mal : « les Métamorphoses du vampire »). Le vampire est présent à travers le mot « sang » et les verbes « mange » et « ronge ». Il apparaît comme l’expression ultime du temps écrit avec une majuscule : « le Temps ».

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