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Souvenir de Anne : bouteille à la mer au large de Girnigoe

Publié le par Bertrand

Partir pour un an à l’étranger quand on est étudiant, c’est toujours un peu difficile. On quitte ses parents, ses amis, ses repères et le confort que donne l’habitude des lieux et des personnes… Au moment de ma licence de lettres, j’avais tissé tout un réseau d’amis issus à la fois de mes années lycée à Bourgoin (38), des cours en hypokhâgne et khâgne du lycée Edouard Herriot, des cours à la fac de Lyon 2, des établissements scolaires que je continuais de fréquenter comme pion, et des deux villes entre lesquelles je voyageais, Lyon et Saint Jean de Bournay tout près de mon village.
              A Saint Jean, je faisais partie d’un groupe théâtre, aux côtés notamment de Red Paskal et de Girl Pascale, de Véronique et de Frédérique. Anne, celle que mon copain Joël, qui était amoureux de sa blondeur et de ses yeux bleus, appelait pour des raisons obscures, « son petit lézard vert », Anne avait appartenu à ce groupe théâtre. Elle était un peu plus jeune que moi. Elle passait en terminale lorsque je me suis exilé.
              Je l’ai revue une dernière fois pendant les vacances de Noël 83.
              Elle rêvait de venir en Ecosse. Ses yeux brillaient quand je lui parlais de mon voyage en auto-stop aux Etats-Unis. L’auto-stop, elle aimait ça…Pour l’aventure, le côté rencontre. Elle était généreuse. Elle rêvait de missions humanitaires.
              Par désespoir, l’été suivant, ses parents sont partis sur les routes du monde comme médecins sans frontières…
              Elle allait passer son bac comme on passe sur une autre rive. C’était pour elle simplement une escale. Elle voulait ensuite rejoindre le Népal, le Tibet. Elle avait un côté Alexandra David Néel, un côté Théodore Monod. Elle aimait ramasser les pierres dans le double prisme de son oeil et de sa main…
 
              Un jour de mars qu’elle rentrait du lycée de Villefontaine, elle a fait du stop. Elle est montée dans la camionnette d’un plâtrier. Le printemps semait les petites fleurs jaunes qu’elle aimait dans les prairies. Elle avait un petit sac à dos en toile où elle mettait ses cours comme elle aurait mis des cartes d’état major et des boussoles.
              La gendarmerie a d’abord retrouvé le sac à dos, tâché de sang…
 
              Du côté de Wick, c’était le soir. L’ambiance du feu de tourbe. Du vent en tourbillon dans la cheminée. Un plat de porridge sur le fourneau. Comme tous les soirs au moment du repas, les infos sur France Inter. A la latitude où je me trouve, je parviens tout de même à capter et je trouve des idées pour mes élèves (c’est la tâche classique de l’assistant de français…)
              19h00. La voix grave du journaliste : « scénario de l’horreur, une jeune lycéenne originaire de l’Isère sauvagement violée et assassinée… »
 
              L’enterrement a eu lieu le premier samedi des vacances de Pâques. Véronique et Frédérique étaient ses plus proches amies. Les trois Pascal les ont soutenus à la cérémonie. Et puis ils ont le lendemain sauté dans le car qui devait les amener à Wick où je les attendais.
Notre premier contact a été dans l’émotion et l’anxiété. Grands yeux bouleversés. Traits tirés. «Eric, est-ce que tu as su ce qui est arrivé à Anne ? » Bien sûr que j’avais tout appris dans le désarroi de ma solitude…
              Et j’avais réfléchi, et j’avais participé à distance à cette intense cérémonie d’adieu à la malheureuse. Ils avaient mis des fleurs, des petits mots sur la tombe. Il nous restait une chose à faire : aller déposer au pied de Girnigoe, afin que les mots s’en aillent au gré des flots, une bouteille remplie de toutes nos dernières pensées pour Anne… Et la bouteille jetée du haut de la falaise a rejoint les courants du large. Ceux qui conjuguent l’eau salée et les larmes, le Destin et l’écriture sur une page blanche.
 
             L’une des fonctions essentielles de l’écriture est à mon sens de parvenir à évacuer les traumatismes. L’épisode de la bouteille dans le Ceilidh permet sans doute de ressusciter autrement la figure tragique d’Anne, tout comme dans les Nouvelles pour l’été, (Aléas, 2005) le récit appelé « coup de foudre et coup de poignard » (dont la violence surprend toujours certains lecteurs) avait déjà commencé l’opération.
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F
Puissant....
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E
C'est vrai Barbara, tuote littérature est expérience de l'intime, mais il y a tant de masques uand il s'agit de fiction. Chez Lévi, c'est du témoignage qui ne fait pas masque, bien au contraire masi adresse un cinglant message à tout négationnisme...
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B
c'est bien triste ce qui est arrivé a Anne, je comprends pkoi sur ton texte precedent tu fais reference à la bouteille.<br /> En fait tu fais comme Levi, tu ecris ce que tu resents afin de te sentir mieux. C'est comme si tu faisais un aveux ou une confidence à tes lecteurs sans qu'ils soient au courant de ton histoire.
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