Répétition en toute intimité avec les trois sorcières en ce premier jour de vacances de février. Françoise est disponible le samedi. L’occasion de travailler en profondeur les scènes décapantes
du trio infernal. La qualité de ces trois comédiennes, c’est qu’elles sont très flexibles et qu’elles n’hésitent pas à aller très loin dans le dérisoire. Ainsi, Diana, la plus pocharde des trois
– interprétée par Françoise – est-elle affublée d’un long manteau dans lequel elle va piocher comme en une cartouchière, le feu de fioles de whisky. Elle en joue facilement tout au long de la
scène.
Equipée de sa casquette de rappeur et de son jean large, Angeline met au point son moment de rap. (Sans quoi ce
texte ne pouvait pas passer la rampe !) C’est une véritable chorégraphie qu’il faut ajuster afin de faire fonctionner la machine à haranguer : gestes, doigts, déhanchements, nuques et
chorus, interpellation du public…
« Suzy : (S’en prenant elle aussi à Diana) Yeux jaunes et paupières rouges ! Qu’as-tu fait dans le compartiment du Londres-Edimbourg ?... La clope en
bouche !... (Elle mime la fumeuse) Locomotive à vapeur, une bouffée chasse l’autre ! (Elle mime le train à vapeur) Tchou, tchou !... (Elle s’essuie le
front) La fumée sèche le gosier, la fumée donne soif ! (Elle mime la buveuse) La bière coule le long des bielles de locomotive… (Sur un rythme de plus en plus
accéléré) La bière le long des bielles, la bielle le long des bières, la bière le long des bielles ! »
Dans les jeux de scène, je leur ai demandé d’être par moments un peu commères, façon « joyeuses commères de
Windsor »… Elles se chuchotent des choses à l’oreille, elles ricanent, elles sont malveillantes entre elles et avec les autres. « Gossips ! »
Par ailleurs, le double langage des sorcières est source d’un jeu permanent avec le public, avec le fil de l’action
et avec le groupe des sorcières. Il ne faut pas oublier le fait que, parmi les trois créatures, il y en a une, Lou, qui possède une longueur d’avance. En d’autres termes, elle est, dés la
première scène, en complicité avec le metteur en scène, (Chose que semble avoir deviné la fine Diana, quand elle dit :
« Diana : (Elle s’allume une cigarette)Suzy et moi, on n’y est pour rien ! C’est toi qui as traîné dans la chambre ! Moi, je voulais ressortir tout
de suite ! Mais toi, on se demande toujours pourquoi tu traînes tant quand tu es dans une chambre ! »
Fébrile, elle manigance le meurtre à venir, elle est de plain pied dans le réel… alors que les deux autres sont dans la fiction théâtrale et ne désirent qu’une chose : être en mesure de bien
jouer leur scène dans le Ceilidh…
« Suzy : J’ai l’impression de ne pas être prête. Rien que le fait de jouer aux sorcières, ça me donne le trac ! »
Il y a cependant des moments où Lou se laisse entraîner ou plutôt dirige le jeu des autres : je leur suggère de
faire sentir au spectateur qu’elles ont un pied dans la sorcellerie et un pied dans l’humanité (par la fibre d’une sexualité débridée !) Ainsi, quand, à la fin de la pièce, elles se
disputent les cadavres de John et de Georges (nouveaux Etéocle et Polynice !), Suzy s’attarde à contempler John. Cette sorcière, beaucoup plus jeune et malléable que les autres a un côté
Ondine… Et la blonde Angeline le joue bien… Elle cherche à imposer sa féminité, étouffée par les moments de frénésie passagère de Diana et Lou. C’est notamment le sens de la scène où, après avoir
fait tourner le verre et invoqué l’esprit, elles rivalisent devant l’esprit comme devant un beau mâle :
« (Le verre tourne de plus en plus vigoureusement, ce qui entraîne de comiques gesticulations autour de la table et favorise une scène d’hystérie collective.)
Lou : Hein ?... Hein ?...Esprit es-tu là ? Esprit, es-tu là ?... Hein ?... Hein ?...Esprit calme-toi, j’ai du mal à te suivre !
Diana : (En transe, la bouche en avant, la tête jetée en arrière) Esprit, voilà ma bouche !... Prends ma bouche ! Prends nos bouches !
Suzy, Lou : Prends nos bouches !
(Commence alors une « compétition » du genre burlesque)
Lou : Prends mes bras !
Diana : Prends mon souffle !
Suzy : Prends mes seins !
Lou : (Elle sent manifestement quelque chose et cela se traduit par un geste solennel et grandiloquent) Levez-vous, tempêtes sur la mer ! L’heure de la
tragédie est annoncée ! »