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Chant d’Ukraine

Publié le par Eric Bertrand

C’est une petite voiture prise dans un immense embouteillage,

Elle attend tout au bout de la longue file.

Et, du côté de Tchernobyl, monte un essaim de gaz d’échappement.

 

Tout au fond d’un couloir du métro de Kiev, un enfant se pelotonne sous un banc.

Il a vu dans le ciel blanc de sales mouches noires et des bourdons qui grattaient.

Dans les rues dévastées, des tanks araignées tissaient une toile factice,

Et, derrière une vitre cassée au coin d’un bâtiment,

Ligotaient les bras d’une petite fille qui pleurait.

 

Dehors, les Kalachnikovs griffent les mains des civils,

Dans la terre meurtrie, on débite des tranchées et des tranches de vie :

Photo d’une femme aux rides de sang séché,

Lignes de frontières à fleur de peau, saison morte du tatouage.

 

Pourtant le printemps bleu remonte par la Roumanie, la Crimée…

Dans le métro, une voix claire et blonde comme le blé

S’est mise à chanter les chants de la nation ukrainienne,

Et dans les champs de Tchernobyl, poussent des fleurs jaunes.

 

La petite voiture redémarre après le long arrêt,

Des ombres de silhouettes dansent maintenant parmi les bagages,

Et un mot brinquebale dans l’habitacle, un mot vague et furieux : « Liberté ! ».

Chant d’Ukraine

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Monter là-haut sur la colline avec Joe Dassin

Publié le par Eric Bertrand

C'est une planète de platine qui tourne, insouciante, sous un saphir léger. On s’y balade en fantaisie dans le quartier du Vieux Québec, les Jardins du Luxembourg, sur les champs Élysées, et puis soudain on tombe amoureux d’une Émilie, d’une Cécilia ou d’une jolie boulangère qui vend des petits pains au chocolat ou des chocolatines, peu importe. On va au Café des Trois Colombes, on se regarde dans les yeux, on se caresse le velouté des lèvres, on se sent seuls au monde. Et on n'a rien : pas de masque, pas de virus, pas de pass sanitaire, mais on a toute la vie et Nancy au printemps… « Salut les amoureux ! ». On marche en parlant, on refait la philo. On est plein de délicatesse et de précaution, on réserve des chambres à part parce qu'on n'aime pas montrer qu'on s'aime à 18 ans à peine...

Quand on écoute le chanteur au pantalon blanc à pattes d'éléphant, on fait partie de l'équipe à Jojo et on part pour des étés indiens avec des filles en robe longue qui ressemblent à des toiles de Marie Laurencin. On roule à bord d'un vieux tacot, guitares en bandoulière et marguerites sur le capot, et on rêve d'une Amérique qui n’est pas celle de Trump. 

Et puis du jour au lendemain, comme dans la vraie vie, « il était une fois nous deux » et tu t'appelles « Mélancolie »… Mais ça va pas changer le monde... Les deux mains sur le ceinturon, les yeux en révolvers, Jojo prévient sa bande : ce monde-là va continuer sans nous « et il aura bien raison »...

Et en effet, aucun mauvais virus, aucun vent mauvais ne menace ni la liberté des fleurs, là-haut sur la colline, ni la chanson de celui qui siffle tant qu'il peut. On           garde la fleur aux dents et on ne connaît ni la haine, ni les bombes, ni les convois. Les seuls masques qu'on voit sont ceux des frères Dalton « qui furent l'incarnation du Mal » .... « Et que ceci serve d'exemple à tous ceux que la vie écarte du droit chemin » ...

 

Monter là-haut sur la colline avec Joe Dassin

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De la Petite Poucette aux ogres de l’internet.

Publié le par Eric Bertrand

« Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l'homme impatient se change en bête fauve. »

Charles Baudelaire, « le Crépuscule du soir »

Michel SERRE évoquait la virtuosité avec laquelle la « Petite Poucette », ne semait plus des cailloux pour retrouver sa voie mais pianotait sur son clavier et voltigeait sur son smartphone. Dans ce temps où le tout numérique et le télétravail ont pris l’avantage sur toute autre forme de locomotion, on imagine à quel point Poucette est aussi capable d’enfiler des bottes de sept lieues afin de s’en aller gambader sur le net ou sur le WAP…Et comment hélas, comme dans le conte, les ogres du Dark net se sont mis à guetter les Petits Chaperons rouges qui portent sur elles autre chose que des confitures et des pots de beurre. Et il faut bien admettre que les rassurants adultes, les bons chasseurs au chapeau à grelot, ne peuvent plus faire grand-chose pour détourner leurs Blanche Neige du piège vers lequel elles se précipitent…

Réseaux sociaux, jeux-vidéos, clips, stories, selfies… Si une main mal intentionnée fouille un peu dans les poches des ados d’aujourd’hui, elle ne tire pas que des bouts de ficelles : premières photos postées par un couple de parents béats, premier pipi au pot, premières dents qui tombent en appât, casier à homard dans l’écluse, carcasse qui craque : la bouche baille, le décolleté aussi. Premier accès à la console, premier ordinateur, premier portable sous les menottes de la petite puce qui a grandi dans l’électronique… Au pays des contrôles parentaux, les Petits Poucets ricochent d’intelligence. En quelques minutes, ils déjouent les ruses de papa et les pièges de la cyber-sécurité et ils s’adonnent à des plaisirs coupables pendant que les sentinelles et les parents dorment. Quelques années plus tard, ils sauront hacker les meilleurs spécialistes.

« La sombre nuit les prend à la gorge. » Ils détalent à toute vitesse avec des yeux hallucinés. En quelques nuits, ils deviennent les enfants du monstre et de la matrice qu’ils sont allés réveiller. Ils se sentent rassurés, nombreux, serrés les uns contre les autres, et ils pensent tous la même chose. Il fait bien chaud au cœur du labyrinthe. Un œil s’est ouvert. Sur un toboggan vertigineux, ils descendent les parois de l’intestin du Léviathan. Millions de facettes, millions de clics, d’acides et de flashs. C’est cool et un peu flippant, on n’arrive pas à voir qui se cache derrière le masque. Sous le manteau, où est la doublure, sous la pelure, où est l’oignon ? Parfois, ca tire des larmes mais on ne les montre pas.

Tik tok, Tinder, Meta, Instagram, groupes Facebook, j’aime, j’aime pas, smileys… Pire que les dealers « qui dans l’ombre attendent leur heure », il y a les hackers, les cyber-caïds, chefs de groupes, chef de meutes… « L’horreur d’minuit » chantait Gainsbourg pour d’autres « enfants de la chance ». Une bouffée, ça se scrolle, ça s’injecte, et ça passe dans les veines toute la nuit, jusqu’au petit matin. Et plus rien n’existe autour. « La poussière d’ange » est montée dans le ciboulot en même temps que les étoiles qu’on ne voit plus tout au fond du ciel. Des zones vitales sont atteintes, dévastées, saccagées. Comme le « bon nageur » de Baudelaire « qui se pâme dans l’onde », l’enfant-prodige de huit ans est allé fureter dans les quartiers où poussent les fleurs du Mal. Le vin y « chante dans les bouteilles », a on sert des alcools fortes à de « vieux saltimbanques », et on voit des « serpents qui dansent et des femmes damnées »

Derrière son écran ou sa console, la tête lui tourne. La vie est devenue un jeu, un poison infernal qui le grise. Le monde est à ses pieds et à bout de clic : « au sein de la cité de fange », il se fournit l’arme qui lui convient, court tirer dans une école, une église, une mosquée sur des cibles qui bougent, dégomme tous les rabat-joie qui l’empêchent de faire sa loi, policiers, professeurs, adultes en civil avec des sales tronches. Il sourit au milieu des balles. Il entend des voix.

Le petit Faust a vendu son âme au diable. Il s’amuse comme un fou. Les réseaux et les jeux-vidéos l’occupent exclusivement. Ils lui fournissent des représentations simplifiées et « hyper-excitantes » des rapports entre hommes et femmes. « La Prostitution s’allume dans les rues ». Ses doigts tremblent devant les « ventres et les seins plus câlins que les anges du Mal…»… Plus rien d’autre n’a de grâce à ses yeux. Il se sent fort, viril, invulnérable. Et puis très intelligent aussi et très cultivé. Car, il en a désormais la conviction, sous la casquette de Google qu’il porte de travers, il dispose quand il le décide d’un stock de mémoire. Son cerveau n’a plus besoin de rien retenir.

Il ferme la porte de sa citadelle intérieure. Se sert à l’envi dans cette succursale de l’Esprit située dans la banlieue de ses fantasmes. Assiste, sans broncher, à la comédie des hommes. Se moque, insulte, agresse. Se targue d’un savoir absolu, d’une omniscience à portée de clic.

Et puis un jour, il sort enfin dans la vraie rue, brandit des slogans, des formules à l’emporte-pièce et à la place de la Vérité qu’il détrône, il assène ses vérités à lui. Il a du feu dans les veines, des lumières dans les yeux et il proclame dans tous les Capitoles et dans toutes les capitales : « Si tu n’es pas d’accord avec moi, alors tu es contre moi ! »

 

De la Petite Poucette aux ogres de l’internet.

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